Les mondes de Nam June Paik
22.05.2001 - 30.09.2001
L'artiste qui a su le mieux imaginer et exploiter le potentiel artistique de la vidéo et de la télévision est, sans aucun doute, le créateur d'origine coréenne Nam June Paik. Grâce à son abondante production d'installations, de vidéos, d'émissions de télévision globales, de films et de performances, Nam June Paik est parvenu à modifier notre perception de l'image temporelle dans l'art contemporain. Les mondes de Nam June Paik s'empare du Musée Guggenheim Bilbao pour célébrer l'image en mouvement et l'influence de Paik sur l'art du XXe siècle.
Paik étudie la composition musicale d'abord en Corée, puis à Tokyo, où il passe sa thèse sur le compositeur moderne Arnold Schönberg. En 1956, il voyage en Europe et s'installe en Allemagne où il explore la musique d'avant-garde et la performance. C'est au cours d'un séminaire des Cours d'Eté pour la Nouvelle Musique de Darmstadt qu'il fait la connaissance du compositeur John Cage, dont les idées sur la composition musicale et la performance exerceront sur Paik une grande influence, ainsi que celles de George Maciunas, fondateur du mouvement artistique radical Fluxus. De fait, Paik sera invité à participer à ce groupe.
Les explorations artistiques initiales de Paik dans le domaine des mass médias et, plus précisément, de la télévision, font l'objet, en 1963, de sa première exposition en solitaire: Exposition of Music-Electronic Television (Exposition de télévision électronico-musicale), organisée à la Galerie Parnass de Wuppertal, en Allemagne. Cette exposition, dans laquelle des appareils de télévision distribués dans une salle, installés sur les côtés et placés à l'envers ont été préparés par l'artiste pour déformer la réception des transmissions, est cruciale. À cette occasion, il crée également des vidéos interactives visant à transformer le rapport des spectateurs avec le média. Ces premiers pas marquent l'éclosion de Paik, qui, plus de 40 ans durant, développera d'innombrables idées et inventions qui ont joué un rôle essentiel dans l'introduction et l'acceptation de l'image électronique en mouvement dans la sphère de l'art.
En 1964, Paik s'installe à New York pour poursuivre ses travaux autour de la télévision et de la vidéo et, à la fin des années 60, se constitue en chef de file d'une nouvelle génération d'artistes désireux de créer un nouveau langage esthétique basé sur la télévision et les images en mouvement. Dans les années 70 et 80, il travaille comme professeur et se consacre activement à la promotion d'autres artistes et au développement du potentiel de ce média émergent. À côté d'une remarquable séquence de films vidéo et de projets pour la télévision - comprenant des collaborations avec ses amis Laurie Anderson, Joseph Beuys, David Bowie, John Cage et Merce Cunningham- il met sur pied une série d'installations qui ont radicalement transformé la production vidéo et redéfini la pratique artistique.
Les mondes de Nam June Paik, qui occupe le deuxième étage du Musée, présente des œuvres essentielles de l'ensemble de la trajectoire artistique de Paik. Le design spectaculaire du Musée Guggenheim Bilbao créé par Frank Gehry offre, à la fois dans ses salles les plus classiques et dans ses espaces d'exposition les plus novateurs, un cadre éblouissant dans lequel le visiteur peut découvrir les œuvres les plus abouties de Paik ainsi que les expérimentations qui ont jalonné sa prolifique carrière. La conception de l'exposition ne part pas d'un découpage traditionnel, chronologique, mais consiste plutôt en une juxtaposition d'œuvres d'art réalisées à différents moments qui suggère des points de rencontre et la continuité de la production créative de Paik. Cette perspective, qui axe le montage de l'exposition, s'inspire de l'architecture post-moderne de Gehry et de l'intégration transformatrice de l'image en mouvement dans la création artistique obtenue par Paik. Tant l'architecte comme l'artiste ont contribué à redéfinir l'art et la façon dont celui-ci est montré en cette aube de nouveau millénaire.
Dès le départ, l'œuvre de Nam June Paik est révélatrice de sa conception novatrice des mass médias et de la technologie. Une sélection de pièces audio restaurées des décennies 50 et 60 illustre son utilisation du son enregistré comme élément fondamental de ses performances avec Fluxus. À côté de ses premières bandes vidéo, des années 60, récemment redécouvertes et restaurées, sont présentés des films vidéo et des émissions de télévision réalisés tout au long de sa carrière. TV bougie (Candle TV) (1975) joue sur le rapport ironique entre nature et technologie qui imprègne toute la trajectoire de Paik. D'autres pièces articulent le parcours de Paik entre la performance -comme Violon brisé, tiré de Un pour violon seul, 1962, performance auWhitney Museum of American Art, New York, 2 juin 1982 (Broken violin from One for Violin Solo, 1962, at the Whitney Museum of America Art, New York, June 2, 1982) (1982)- les œuvres audio interactives -Accès aléatoire (Random Access) (1963)- et ses créations pionnières de vidéo interactive -TV participative (Participation TV) (1963)-.
Paik a créé de nombreuses pièces de petit format qui ne laissent pas, toutefois, d'être représentatives de son œuvre. Vidéo Bouddha (Video Buddha) (1976), par exemple, contient des références aux antiques rites funéraires coréens et présente une sculpture du Bouddha, mi-enterrée dans un monticule de terre, qui se contemple dans un moniteur vidéo en circuit fermé. Chaise TV (TV Chair) (1968) est le résultat d'un traitement ironique de Paik de la réception de la télévision. Dans cette pièce, un moniteur remplace le siège d'une chaise de sorte que, dès que quelqu'un s'y assied, l'écran est caché par le corps. Paik fait également preuve de son intérêt pour l'humanisation de la technologie dans Famille de robots (Family of Robot) (1986), une série de sculptures de personnages vidéo construites avec d'anciens appareils de radio et de télévision. D'autres exemples révèlent comment certaines collaborations de Paik ont surgi de nouvelles expériences visuelles, comme le montre l'œuvre Synthétiseur Vidéo Paik-Abe (Paik-Abe Video Synthetizer) (1969), un dispositif de traitement d'images vidéo développé en partenariat avec Shuya Abe. Autre exemple des expérimentations de Paik, Violoncelle TV (TV Cello) (1971), l'une des nombreuses pièces créées par l'artiste pour sa collaboratrice au long cours de performances, Charlotte Moorman, détourne la vidéo en un instrument musical/visuel d'un autre ordre.
Paik est l'auteur d'un groupe remarquable de nouvelles œuvres fondées sur la technologie laser. En collaboration avec le spécialiste du laser Norman Ballard, Paik crée Modulation en synchro (Modulation in Sync) (2000), installation à grande échelle qui évoque la relation dynamique existant entre la nature et la lumière qui comprend les pièces Doux et sublime (Sweet and Sublime) (dessins multicolores à base de faisceaux laser projetés sur le plafond) et L'échelle de Jacob (Jacob's Ladder) (une cascade traversée par le laser). Une autre installation de sculptures laser, Trois éléments (Three Elements) (2000), utilise le laser pour créer un espace virtuel et redéfinit la forme et les matériaux de la sculpture. Finalement, dans son œuvre la plus récente, Cône laser (Laser Cone) (2001), Paik manipule les faisceaux pour qu'ils s'entrecroisent sur une énorme surface conique qui enveloppe le spectateur dans une articulation graphique de lumière. Ces projets sont à mettre en rapport avec des créations antérieures comme Couronne TV (TV Crown) (1965), dans laquelle il déformait les tubes à rayons cathodiques des téléviseurs pour créer des dessins linéaires ou La lune es la TV la plus ancienne (Moon is the Oldest TV) (1965) où il évoquait les phases de la lune.
Le traitement expressif que Paik donne à la vidéo est illustré par les flammes de Une bougie (Projection de bougie) [One Candle (Candle Projection)] (1988) qui composent une surprenante toile de fond pour Tente mongole (Mongolian Tent) (1993), une réflexion qui évoque son ami Joseph Beuys. A l'intérieur de la tente est projeté un enregistrement de la performance énergique que Paik et Beuys réalisèrent ensemble à Tokyo en 1985. Une autre pièce, Jardin Télé (TV Garden) (1974), constitue une brillante installation qui rend hommage à la diffusion de la télévision sous forme d'un jardin qui s'étend peu à peu, à base de plantes naturelles et de moniteurs qui émettent des images de façon intermittente. La séquence conceptuelle de Horloge suisse (Swiss Clock) (1988) et de Poissons réels/Poissons en direct (Real Fish/Live Fish) (1982) révèle la fascination stimulante et continue que ressent Paik pour le temps et les images qui fonctionnent à la fois comme illusion et réalité.
Les mondes de Nam June Paik reflète la portée et la trajectoire de la fructueuse carrière de cet artiste, depuis la transformation d'émissions de télévision et de vidéo au détournement du laser comme nouveau matériau à sculpter et à installer. En outre, le traitement donné par Gehry à l'espace offre des possibilités insurpassables pour présenter les œuvres de cet artiste qui célèbre les vertus de la transformation et qui reconnaît la fonction transcendantale de l'art dans la compréhension de notre milieu environnemental. Ses résultats inégalables, les précédents établis par ses succès créatifs et la grande diversité de son œuvre témoignent clairement du rôle crucial que Paik a exercé en élargissant notre mode de comprendre et de définir les arts au travers des mass médias. Cette exposition nous parle non seulement de l'importance de Paik mais aussi de l'extraordinaire impact que l'image en mouvement continuera à exercer au cours du XXIe siècle.
Nam Jun Paik
Esquisse pour Modulation en synchro (Modulation in Sync) dans le Musée Guggenheim Bilbao, 2001
Acrylique sur photo couleur
74,2 x 51,2 cm
Collection de l’artiste