Les rires du monde (1999/2018)
Les rires du monde (1999/2018)
Vue de l’installation
37 écrans audiovisuels, structures métalliques et matériau en vinyle
4 x 12,70 x 6 m
Archive Esther Ferrer
© Esther Ferrer, VEGAP, Bilbao, 2018
Photo : Erika Ede
Certaines des installations qu’Esther Ferrer (Saint-Sébastien, 1937) projette ne se matérialisent pas, car pour leur réalisation elles exigent des moyens complexes ou des espaces concrets. Toutefois, l’artiste les travaille au travers de textes, de dessins ou de maquettes : “Si je ne peux pas la réaliser dans un espace réel, peu importe. Ce qui m’intéresse, c’est le processus”[1].
Les rires du monde est une installation qui est matérialisée ici pour la première fois à l’occasion de cette exposition au Musée Guggenheim Bilbao. Il s’agit d’une pièce audiovisuelle complexe qui consiste en une grande mappemonde sur laquelle sont disposés 37 dispositifs électroniques ou tablettes, qui reproduisent les images et les sons rieurs de bouches appartenant à des hommes et à des femmes, à des vieux et à des jeunes, à de petits garçons et à de petites filles, originaires des quatre coins du monde.
Au fur et à mesure que le spectateur explore l’œuvre, un mécanisme se déclenche par lequel une bouche s’ouvre et commence à rire ; quand le spectateur s’éloigne, la bouche se referme et reste muette. La reproduction de ces enregistrements sonores obéit à l’interaction avec le spectateur puisqu’elle s’active au moment où quelqu’un s’approche. L’artiste utilise ici le rire comme matériel sonore et éphémère qui peut se transformer en objet artistique. Ferrer s’approprie d’un son organique et naturel, comme le rire, et le dilate dans le temps à travers l’enregistrement, l’ordonne dans l’espace de la salle et le laisse dans les mains du spectateur qui, en choisissant sa façon de parcourir l’œuvre, consciemment ou inconsciemment sélectionne l’ordre de sa reproduction[2]. Toute l’installation est basée sur l’emploi du son du rire comme élément d’une composition musicale qui se déroule à partir de l’intervention du spectateur. Ceci permet d’organiser ce que l’artiste a appelé, en parlant de cette pièce, des “concerts de rire” spontanés.
Pendant des décennies, Ferrer a travaillé en liaison étroite avec des musiciens, comme ses camarades au sein du groupe Zaj (Walter Marchetti, Ramón Barce et Juan Hidalgo), un des collectifs à l’avant-garde de la scène artistique espagnole des années soixante et soixante-dix. Elle a ainsi participé, des années durant, à leurs concerts, festivals et autres rencontres. Les propositions de Zaj étaient fondées sur une combinaison de musique d’avant-garde, de poésie expérimentale et de performance. Leurs performances sortaient de leur contexte des actions de la vie quotidienne pour remettre en question les limites de la liberté d’expression dans l’Espagne pré-démocratique. Ferrer a aussi été extrêmement influencée par l’artiste américain John Cage et par la musique concrète. Ce type de musique implique précisément l’emploi de sons enregistrés de manière isolée pour créer des compositions musicales. La musique concrète est liée à l’apparition de dispositifs qui ont permis de décontextualiser un son en le fixant sur un support afin de pouvoir le traiter séparément et le manipuler en le découpant, en le collant, en le superposant et, finalement, en combinant les sons résultants de ces opérations d’altération dans une structure complexe et définitive comme une partition sonore[3]. La musique concrète désigne une modalité de composition dans laquelle le son, au lieu d’être interprété, est appréhendé comme un objet externe qui possède sa propre réalité spatio-temporelle, sa propre présence. Les idées de Cage ont influencé l’univers artistique de Ferrer, qui a compris que n’importe quel bruit de ce monde, y compris le silence, est musique. Dans cette installation, elle induit les participants à utiliser le rire pratiquement comme un instrument musical de façon à créer une composition sonore à partir de la relation qu’ils nouent avec les dispositifs.
Preguntas
Prenez quelques minutes pour parcourir l’œuvre. Les rires qui apparaissent sur les écrans ne peuvent être entendus qu’à se rapprochant d’eux. Quelles sont à votre avis les différences entre eux ? Si vous pouviez les regrouper d’une façon quelconque, comment le feriez-vous ? Qu’expriment les différents rires ? Combien de types de rires pouvez-vous classer ? Dressez une petite liste.
Quelles peuvent être les relations entre les rires et la mappemonde ? Pourquoi les écrans sont-ils placés sur la carte ? Pensez-vous qu’elle veut que nous la parcourions d’une façon spéciale ?
Ferrer a déclaré qu’elle aimerait que le visiteur puisse créer son propre “concert de rire”. Dans ce cas, comment le faire ? Si vous deviez ajouter d’autres sons au concert, quels seraient-ils ? Pourquoi ? Comment aimeriez-vous parcourir l’installation ? Essaieriez-vous de faire entendre de nombreux rires en même temps, ou seulement quelques-uns, ou les écouteriez-vous un par un ? Pourquoi ?
Ferrer considère que l’humour est indissociable de son œuvre. La plupart de ses créations semblent imprégnées d’un grand sens de l’humour. Où trouvez-vous de l’humour dans cette œuvre ? Pourquoi à votre avis l’artiste aime-t-elle travailler avec le rire ? Qu’est-ce que le rire pour vous ? Quels aspects de votre vie associez-vous à l’humour ou au rire ? Vous est-il arrivé de rire mais pas de joie ? De quelle situation s’agissait-il ? Quels autres sentiments pouvez-vous associer à cette façon d’agir ? Pensez-vous que Ferrer veut que nous associions son œuvre à la joie ou à un autre sentiment ? Argumentez votre réponse.