Allora & Calzadilla. La pharmacie tropicale
15.03.2019 - 23.06.2019
L’œuvre de Jennifer Allora (Philadelphie, USA, 1974) et Guillermo Calzadilla (La Havane, Cuba, 1971), à l’intersection entre l’installation vidéo, la performance et la sculpture, fait de leurs créateurs une référence artistique incontournable des deux dernières décennies. La pharmacie tropicale, spécialement conçue pour être présentée dans la salle 103 du Musée Guggenheim Bilbao, articule trois pièces dans un ensemble qui illustre la consistance et la diversité du travail que les artistes réalisent sur l’île où ils vivent, Porto Rico, un territoire qu’ils explorent comme un prisme où convergent les questions géopolitiques, écologiques, culturelles et historiques.
La pièce qui donne son nom à l’exposition, La cloche, la pelleteuse et la pharmacie tropicale (The Bell, the Digger, and the Tropical Pharmacy, 2013), documente avec une force saisissante la démolition d’un site industriel appartenant à l’une des compagnies pharmaceutiques américaines les plus importantes de l’île. Cet événement illustre bien la profonde asymétrie du cadre économique et politique de l’exceptionnalité coloniale, caractérisée par la fuite effrénée de capitaux d’un territoire « non incorporé » et par la faible responsabilité des entreprises dans l’exploitation des ressources locales. Si l’idée d’une « pharmacie tropicale » évoque l’énorme potentiel de la biodiversité des Caraïbes pour l’usage humain, elle fait aussi allusion, ironiquement, à la situation d’abandon et de manque d’infrastructures sanitaires de Porto Rico. Dans cette œuvre d’Allora & Calzadilla, on peut voir une pelleteuse dont la pelle a été remplacée par une cloche, ce qui transforme la démolition en une sorte de performance sonore qui donne un caractère émotionnel à l’acte de clôture. Cette pièce surprenante alterne à l’écran avec Glandes de sueur, terres de sueur (Sweat Glands, Sweat Lands, 2006), une œuvre réalisée en collaboration avec le musicien René Pérez Joglar, plus connu sous le nom de Residente Calle 13, lauréat de plusieurs prix Grammy. La scène se déroule dans une lechonera, une sorte d’abri précaire qui s’utilise pour griller les viandes, où un homme fait tourner depuis sa voiture un porc embroché sur l’essieu des roues. L’homme presse l’accélérateur tout en écoutant l’interprétation vocale de Residente, qui fait allusion aux processus organiques, à la préhistoire et au capitalisme, entremêlant ces références avec des éclairs de perception animale et un écosystème tropical en crise. Ces deux projections se succèdent, établissant un dialogue continu avec Date limite (Deadline, 2007), un film tourné en 16 mm après le passage de l’ouragan Georges à San Juan de Porto Rico. Le film présente une branche qui se maintient précairement en l’air entre deux palmiers. Suspendue par un fil invisible de comète, elle défie la gravité dans sa chute interrompue et introduit un intervalle insolite au milieu de la dévastation du paysage.
Ensemble, les trois pièces qui composent La pharmacie tropicale sont un exemple paradigmatique de l’approche d’Allora & Calzadilla, qui transforment, juxtaposent et réinventent les fonctions des objets quotidiens dans des situations extrêmes. Dans un élan transformateur, leurs œuvres sont à la fois une réaction au désespoir matériel et une tentative de relancer l’espoir.
Commissaire d’exposition : Manuel Cirauqui
Allora & Calzadilla
La cloche, la pelleteuse et la pharmacie tropicale (The Bell, The Digger, and The Tropical Pharmacy), 2013
Vidéo haute définition en couleur avec son,
20 min 40 s
Courtoisie des artistes
© Jennifer Allora, Guillermo Calzadilla